Paris, La Loco
27 Février 2003

Plus de 500 personnes sursautent d'excitation lorsque retentissent les premières notes de l'intro instrumentale, éclatante de cuivres, ruisselante de cordes, envenimée du triomphe de multiples chœurs. Le rideau de scène est toujours fermé mais un souffle le traverse, d'un côté prêt à donner, de l'autre à prendre. Quand ce rideau s'ouvre l'Hydre Public ovationne le groupe. Il y a des fans absolus ce soir. Ils le montrent. Les quelques minutes emphatiques de l'intro ont saisi tout le monde à la gorge, et à présent ça dégoise ! Les premières notes d' " Ordo ab Chao " aspirent le bruit de la salle et Hreidmarr bondit sur scène, cape claquante, pour hurler " His excess of light is searching for your darkness " et c'est exactement ce qui se passe, l'excès de lumière émanant de la scène, l'excès de lumière intérieure, déboule à grands flots dans l'obscurité où la masse se laisse ravir.

A peine " Ordo " achevé, Nilcas scande ses cymbales pour lancer " Black Death Nonetheless ". Le feu de mitraille crible l'espace, l'alternance de séquences violentes et de breaks de synthé crée une atmosphère malsaine qui hypnotise tout ce qui vit. Vers la fin du morceau, l'air se charge de touffeurs sépulcrales, les descentes de toms rivalisent avec la gravitation, les mouvements se font plus chaotiques.

A la fin de " BDN ", Hreidmarr se retourne pour ôter sa cape et lancer aux pieds de la batterie, il y a un temps de silence, la lumière n'éclaire plus rien, on est au fond du tombeau, prêt à entrer dans l'Eglise de la Fornication " Bonsoir Paris ! Etes-vous prêts pour Enter… the Church… of… FORNICATIOOOON ! ! ! " Pas le temps de répondre, le rouleau compresseur a repris sa marche impitoyable. Le light show virevolte allègrement autour des musiciens, Stefan, de plus en plus menaçant, sculpte des riffs sauvages qui carbonisent les tympans, il va les chercher au plus profond de lui-même, déchaînant l'instinct de slammeurs qui disloquent le public, d'ailleurs un peu gêné par ce mouvement devant la scène et qui n'ose pas toujours s'approcher (pas comme les quatre ou cinq superallumés sur le petit escalier latéral qui transent comme des malades, la tête pratiquement dans la sono).

Lorsque Hreidmarr annonce " Mother Anorexia ", on sent presque un soulagement, on dirait que certains craignaient que ce titre ne soit pas joué. Nombreux sont ceux qui chantent les paroles, en fait il y a clairement ceux qui viennent foutre le boxon et se défouler, et ceux qui viennent pour le culte et écoutent la musique avec recueillement. La complexité de " Mother Anorexia " synthétise bien la force du groupe, les croisements lyriques, les vagues sonores successives : complexité typique de la musique d'Anorexia, chaque élément s'appuie sur le précédent dans une imparable fusion ascensionnelle. Ce ne sont pas de vains mots ; cela arrive réellement. Malheureusement, l'acoustique de la Loco n'a pas été calculée pour de telles aventures sonores, et la guitare de Stefan est parfois un peu bouffée par les nappes que joue Neb. N'importe. On se remue, on danse, on est renversé par la charge cuirassière.

" Paris, est-ce que vus êtes là ?! Voici le Châtiment de la Rose ! " Notre Hreidmarr national kangoorooïse sur les planches (à un moment il ricoche sur les pédales d'effets de Stefan et lui coupe le son quelques secondes, quel farceur !), la tenue de voix est impeccable, le light show, assez mobile au commencement, se cristallise, se suspend durant la chanson en océan de fuschia, de pourpre, de sang, nimbant les appels guerriers (" elle sera ma victoire elle sera au-dessus de tout… ") que lance le spectre dont on imagine à peine qu'il est humain. " Châtiment de la Rose " est aussi le titre dans lequel les plus beaux sons et les plus belles séquences de synthé glissent, s'infiltrent et bouleversent, Neb y fait des prodiges tout en dansant, un peu en retrait sur la scène et derrière Pier, il fait entendre combien sa cerise sur le gâteau névrotico-anoréxique compte dans la recette globale. Arrivé à mi-concert, les stagediveurs envahissent régulièrement le plateau, plongeant parmi les dangereux remous de la foule - l'un d'eux, un peu plus tard, nous gratifiera même d'un magnifique plat sur le parquet, mais cela ne lui fera manifestement pas perdre sa bonne humeur.

" The Drudenhaus Anthem " donne l'occasion d'une longue série de Oï-Hail ! enthousiastes, la main gauche de Pier semble démesurément agrandie, une araignée géante sillonne le manche de sa basse, se pelotonne un instant sur une note unique et grave, reprend sa course tangeante, il faudrait pouvoir écouter chaque morceau plusieurs fois pour se concentrer successivement sur chaque musicien afin de saisir la substance totale de la musique. Avec Ano on a toujours l'impression de rater quelque chose en s'attardant ici plutôt que là, mais comment faire autrement ?…

" Le Portail de la Vierge " : un frisson de désir assèche la bouche des femmes. Ce morceau leur est particulièrement dédié, si fa# ré do#, la ressemblance avec la tête de thème dont Bach se sert à travers tout l'Art de la Fugue, sollennise l'espace saturé où certaines sont au bord de l'évanouissement ou de l'extase. " Je ne te laisserai jamais partir… "mais aucune des femmes que ce titre envoûte n'a envie fuir, alors que les hommes préfèrent voltiger de main en main par dessus les chevelures, les femmes s'offrent à la promesse du démon qui les guide vers leur plaisir : " …je ne laisserai pas ton âme entre ces mains… " Chez certaines, l'extase se manifeste par des regards avides et les lèvres vibrantes d'un baiser aérien, bienheureuses immortelles d'un soir…

" Divine White Light of a Cuming Decadence " - " Paris, nous allons remonter le temps pour un vieux, vieux morceau… ", effectivement le plus ancien du concert, les samples baroques ont été rafraîchis, les passages en 12/8 sonnent beaucoup plus lourd, les doubles croches de caisse claire s'enfoncent dans les crânes, les stagediveurs n'en finissent plus de voguer à bout de bras, un violent faisceau de blanc électrique, aveuglant, brutal, dévastateur, inonde le dancefloor, Neb martèle ses touches comme un percussionniste, et surtout Hreidmarr démontre qu'il progresse sans cesse vocalement, juste parce que tu existes !

" Paris, le dernier morceau pour ce soir " - " Noooooonnnn ! ". La note SOL monte du gouffre des âmes incendiées, un chœur se lamente sur la douleur de la Mère du Christ , " Stabat Mater Dolorosa ", sa douleur devient celle de tous, dans les breaks de piano pleuvent les sanglots de la congrégation , Nilcas tue ses peaux et ses cymbales, vaporisé par l'effort ; écartant les bras, Stefan fait le signe de l'Ange Déchu, auriculaires et index tendus, les autres doigts pliés, des saccades de ses membres, l'énergie se transmet à toute la salle, un silence puis ça crie " New Obscurantis Order " de partout, une quinzaine de fois, et le groupe quitte la scène subitement, ayant anéanti toute velléité de résistance.

Il est difficile de se réveiller pour rappeler Anorexia, mais le cri des fans enfle et gonfle, ça leur a paru si court alors que Hreidmarr, Neb, Pier, Stefan et Nilcas ont pris possession des corps et des esprits depuis déjà une heure, heureusement ils ont encore envie de jouer, les lascars, "Est-ce que vous voulez du putain de heavy metal ?!? ", ils adorent balancer cette reprise de Judas Priest à la fin des concerts, " Metal Meltdown ", Stefan se fait un gros plaisir en entamant le riff pesant, nouvelle désécration du son, mid-tempo et batterie clouée au fond des tripes, basse titanesque secouant chaque neurone, un grand solo (peut-être Stefan devrait-il en jouer plus…) démontre s'il en était besoin combien Maître Bayle peut se mesurer aux meilleurs. " The Red Archromance ", encore un classique, clôt cette apocalypse. Le chanteur de Forbidden Site rejoint Hreidmarr au micro pour un duo imprévu et étrange, sa voix douce se mêlant à l'organe monstrueux qui sévit depuis plus d'une heure...


Ce texte est extrait du livre "Eunolie" de Frédérick Martin,
ouvrage consacré au Black Metal
qui paraîtra en Avril 2003 aux éditions Musica Falsa

 


 

Voilà ce qui s'appelle une soirée réellement prometteuse ! La Loco a fait l' effort exceptionnel de nous ouvrir ses portes un lundi soir pour nous présenter une affiche originale, décadente et brutale. Une soirée qui commence à l'heure (Oh Seigneur ! Enfin de la ponctualité à la Loco !) est une soirée qui ne peut que bien se dérouler, la preuve puisque dès 21h30, les gentils molosses de la salle nous ouvrent ce sanctuaire et se lancent dans une longue opération de fouille sommaire avec ce beau sourire qui les caractérise...

Bref, une fois dedans et après que la salle se soit remplie de moitié, Undercover Slut entre en scène et franchement, UCS sur scène, c'est toute une histoire (de cul ?) : pour leur troisième date en près de 7 années d' existence plus ou moins productives (2 démos cd.. C'est plutôt moins que plus en fait.), les parisiens débarquent fringués et maquillés comme il se doit (dominante de latex noir bien entendu) sur une scène qu'ils ont eux-mêmes ornée de moniteurs télé affichant divers slogans, de banières noires à étoile rouge, de bustes de mannequins, d'un gyrophare rouge et surtout d'une toile blanche tendue pour une sympathique projection de films de boules au fond de la scène. je vous le dis tout de suite, même pour la tête d'affiche il était impossible de rivaliser niveau visuel scénique ; un bon point de marqué ! Musicalement, le groupe se lâche 20 fois plus que sur leurs cds faiblement produits et le nouveau gratteux au jeu très rock'n'roll assure un max ! O, le chanteur, ne cesse ses longueurs d'un bout à l'autre de la scène (qu'il compare au comportement d'un fauve en cage, me confiera-t-il plus tard), les fans répondent présents et les autres se montrent plus que respectueux pendant cette très bonne performance qui nous laisse découvrir surtout des nouveaux titres. Belle entrée en matière donc (le set idéal, d'après les goûts et propos d'un certain Hreidmarr).

La suite est LE plaisir et l'honneur des quelques initiés qui n'ont pas oubliés et qui n'oublieront d'ailleurs jamais Forbidden Site, feu groupe grenoblois reformé pour son « ultime et dernière insurrection » comme l'a si bien dit Romarik son chanteur. Très sobres et très bons, après une entrée sur scène qui ne laisse pas sans surprise pour ceux qui, comme moi, connaissent le combo depuis un bail ; fini les chemises goths et les cheveux longs pour le chanteur qui affiche un look « d'étudiant en philo un peu négligé », cheveux hirsutes, chemise blanche débraillée. Quant aux autres, un look tendance Indochine dirons-nous... Mais ce qui fait la beauté de Forbidden Site, c'est sa musique, et les classiques de ses deux indispensables albums sont tous passées en revue : « La Chouanne », « Marianne », « Der Sieg der Finsternis » et bien sûr l'énorme « Aurélia » qui concentre à elle seule toute l'émotion que ce groupe est capable de transmettre ! Un grand moment d'émotion que ce set, vraiment !

La tuerie arrive quelques dizaines de minutes après le départ des grenoblois ; Anorexia Nervosa envahit la scène et là, c'est le feu ! C'est le feu dans la fosse (la salle s'est remplie aux ¾ environ), sur scène, et dans la gorge de Hreidmarr qui entame par du headbang... Un son vraiment à la hauteur des capacités scéniques du groupe nous embaume les oreilles et les nihilistes les plus ven'r de France nous exécutent, avec une set-list parfaite composée entre autres de « Mother Anorexia », « The Red Archromance » en duo avec Romarik ou encore l'énorme « Stabat Mater Dolorosa » et LE classique jamais mis de coté : « Divine White Light of a Cumming Decadence » dont le texte final est repris par les plus érudits ! Fidèles à eux-mêmes, fidèles à leurs fans, les membres du groupe réalisent le show parfait, violent, intense et chaud ! Aux oubliettes les 25 mn du Gibus il y a près d'un an ! Anorexia est un fusil mitrailleur chargé pour ne laisser aucune vie sauve ! Pour la petite histoire, Hreidmarr, à qui un fan avait crié « Saute ! » dès son entrée sur scène, et à qui il avait répondu « Plus tard mes amis, plus tard ! », s'est finalement lancé dans un slam qui aurait pu lui coûter la vie une fois le set achevé, à la grande et effroyable surprise de tout ceux qui l' ont réceptionné (paix à leur âme)... en un mot : VIOLENT !

En conclusion : la dose de surprise, la dose d'émotion, la dose de rage, un concert qui confirme ce vieil adage qui dit que les absents ont toujours tort!"

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