Entretien avec Pierre Couquet
Décembre 2001 Era Vulgaris



1. Comment pourriez-vous vous définir, ainsi que votre musique ?
Pier Couquet : C'est une question assez difficile... Nous n'avons pas vraiment d'idée sur la façon dont nous nous positionnons par rapport à la société, hormis le fait que nous n'avons pas le sentiment d'y être vraiment intégrés, ni d'en faire réellement partie. Nos valeurs premières sont l'esthétisme, la passion, la noblesse, la volonté de puissance, ce qui nous vaut d'être marginalisés.
Notre musique est la résultante d'une vie passée à écouter différents styles qui ont en commun d'être sombres et exaltés. Nous sommes avant tout un groupe de Metal, avec tout ce que cela implique, mais avec également le sens de l'esthétique et du Romantisme qui nous est propre.

2. D'un point de vue philosophique, vous sentez-vous influencés par certains courants ?
La musique d'Anorexia Nervosa n'a que peu de choses à voir avec ce que l'on nomme pompeusement " philosophie ". Nous avons un mode de pensée bien défini, qui déteint bien évidemment sur notre musique et notre attitude, mais cela s'arrête là... Nous exprimons nos sentiments dans notre musique, c'est tout. Bien entendu, en analysant le phénomène, on pourrait ramener beaucoup de choses à la philosophie, et même si nous sommes relativement proches du Nihilisme, je préfère dire que nous sommes simplement des artistes, et que l'Art, même s'il peut amener une réflexion, n'est la plupart du temps qu'une introspection personnelle et nombriliste.

3. Que représente pour vous le vampirisme ?
La beauté à l'état pur. Il a toujours été question d'esthétisme avec les vampires, et Anne Rice a porté le vampirisme à son apogée, très certainement. Boire le sang des autres, c'est une façon magnifique de tuer, et c'est en même temps très sensuel... Cela remet en cause beaucoup de valeurs judéo-chrétiennes, notamment les principales : la morale, le meurtre, la perpétuation de l'espèce, et finalement, la vie. Un vampire en est lassé parce qu'il en a possédé énormément et que la sienne ne prend pas fin... Ce qui nous fascine également, c'est ce mélange de surhomme et de bête, une dualité plutôt intéressante.

4. A quelle époque auriez-vous aimé exister ?
Peu importe, je crois que l'idée d'un âge d'or de l'humanité est purement utopique. L'histoire suit son cours, chaque époque apporte son lot de belles choses et son ramassis d'immondices. Nous avons au moins la chance de pouvoir aujourd'hui nous nourrir des restes d'un passé qui fut quelquefois glorieux et qui tombe de plus dans l'oubli, mais je pense que quelle que fût l'époque, nous ayons été en décalage avec le reste du monde. Peut-être que le pire est encore à venir, dans ce cas, nous serons, sans aucun doute possible, ancré dans cette époque à la perfection.

5. Comment briseriez-vous les préjugés négatifs qui rôdent autour du Metal ?
Je ne vois pas quel genre de préjugés il conviendrait de briser, et cela ne nous gêne pas le moins du monde de savoir qu'un certain nombre de personnes a un a priori négatif sur le Metal. Après tout, il ne s'agit pas là d'une musique faite pour plaire à la masse, et il est normal que celle-ci grince des dents quand quelques fous rechignent à se vautrer avec elle dans la fange puante de la médiocrité ambiante...

6. Quels étaient les premiers groupes à qui vous avez porté une attention particulière ?
Nous avons tous commencé par écouter du Heavy-Metal, avec des groupes comme Iron Maiden, Judas Priest, Mötley Crüe, Wasp, Mercyful Fate, Candlemass... Puis nous avons évolué vers le Thrash, le Death, le Black, la musique extrême en général, tout cela s'est fait de manière très naturelle. Nous avons également, en parallèle, une culture gothique, avec des groupes comme Sopor Aeternus, Virgin Prunes, And Also The Trees, etc. Des groupes cultes qui sont assez difficile d'accès, et bien souvent méconnus...

7. Sur " New Obscurantis Order ", l'ambiance est plus noire, et les textes plus nihilistes que que " Drudenhaus ". Etait-ce voulu ? Est-ce l'évolution de votre groupe qui le veut ?
Cela coulait de source pendant l'écriture des morceaux... Nous avons évolués en tant que musiciens et en tant qu'individus dans les presque deux années entières qui séparent ces deux albums. " New Obscurantis Order " est la pure réflexion de ce que nous sommes et avons été durant la composition de l'album. D'ailleurs, le prochain sera sans doute encore différent, car nous ne trichons pas, nous essayons de rester fidèles à nous-mêmes, à nos cœurs et à nos tripes... Mais il est clair qu'une fois les morceaux de " New Obscurantis Order " finalisés, nous avons beaucoup travaillé en studio pour accentuer cette ambiance tout au long de l'album, que l'ensemble soit cohérent à l'extrême.

8. En lisant certaines paroles de votre dernier album, on peut ressentir une certaine haine envers l'humanité. Est-ce exact ? Est-ce par principe ou par provocation ?
C'est sûrement exact, mais ce n'est ni un principe ni une quelconque provocation, dont je ne verrais pas vraiment l'utilité. Nous avons exprimé tout ce que nous ressentions, et ce serait plus à toi, à vous, au public, de juger si cela est vraiment haineux. Car en ce qui nous concerne, tout ce que nous pouvons accomplir nous paraît absolument " normal "... Par exemple, on nous fait souvent la remarque par rapport au caractère " blasphématoires " de nos textes... Personnellement, je ne vois pas ce qu'il y a de blasphématoire dans ce que Hreidmarr peut écrire, tout dépend de la manière qu'ont les gens d'appréhender ce que l'on fait, mais je veux bien croire que ce n'est pas à la portée de tout le monde...
Nous n'obéissons à aucun dogme, certains nous ont séduits, nous les avons assimilés, mais c'est notre seule volonté qui nous guide, et je pense que pour complètement entrer dans notre musique, il faut passer au degré zéro, celui du sentiment pur, et faire abstractions de ses " concepts " et modes de pensée humanistes.

9. Dans le " Châtiment de la Rose " vous dites " je te maudis, je vomis sur ton âme et sur tous les tiens " ; comment doit-on le prendre ?
Au pied de la lettre.

10. La Mater Dolorosa était un instrument de torture, un petit mot à ce sujet ?
Nous n'avions pas pensé à cette signification-là lorsque nous avons écrit ce morceau, cela dit ce peut être très intéressant de par le côté ambivalent que cela peut apporter.
Le " Stabat Mater Dolorosa " est, à l'origine et avant tout, une prière chrétienne qui prend ses sources dans le nouveau testament et notamment autour du symbolisme de la crucifixion et de l'immaculée conception. De nombreux auteurs, dont le plus célèbre est certainement Mozart, ont traité ce thème en musique, c'est un classique, et nous voulions en quelque sorte écrire notre propre " Stabat Mater Dolorosa "...

11. Dans " Black Death, nonetheless ", vous cherchez la mort de Dieu par étouffement en lui faisant " avaler toutes ses créatures ". Dans le " Portail de la Vierge ", l'humanité est responsable de la souillure divine... Dans la première Dieu est responsable de l'impureté et dans la seconde, c'est l'humanité. Qui faut-il réellement accuser ?
Nous utilisons beaucoup de symboles issus de la religion, c'est quelque chose de récurrent chez nous. Néanmoins je pense qu'il faut savoir s'élever au-dessus de certaines considérations un peu naïves inhérentes à toute religion. Qui peut affirmer que Dieu est bien le créateur de l'homme, hormis la Bible ? Si tu lis la suite du passage auquel tu fais référence dans " Black Death, nonetheless ", tu t'apercevras qu'il est possible que Dieu et le créateur de la vie telle qu'on la connaît soient deux entités bien distinctes, car Dieu lui-même réclame la destruction cette vie terrestre... Encore que, détruire ce que l'on a mis au monde soit également envisageable, mais c'est sûrement là une vision trop humaine de la chose...
Car après tout, ce ne sont là que des considérations humaines, qui peut prétendre expliquer ce que l'on ne peut nommer, l'ineffable ? Nous n'avons pas toutes les clefs, et je pense que certaines choses ne sont pas faites pour être analysées, interprétées, adaptées pour que finalement, l'esprit humain puisse les digérer... Alors qui faut-il accuser ? Combien de fois ? Pour combien de temps ? Pourquoi ?

12. Le mot de la fin ?
Vexilla Regis Prodeunt.

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