Interview de RMS Hreidmarr par Tom de Transit Magazine - 12 juillet 2000

1. Drudenhaus est sorti il y a quelques mois déjà. Que dirais tu pour que les lecteurs l'achètent?
Hreidmarr : Je ne suis pas représentant, je suis musicien. Ce genre de tâche ne me sied pas vraiment, et je laisse à Osmose le soin de faire en sorte que nos disques se vendent bien… Toutefois, je pourrais dire à tes lecteurs que s'ils cherchent un bon album de Metal à la fois violent, orchestral, choquant, moderne et bien produit, ils peuvent acheter Drudenhaus les yeux fermés.

2. Dans quelles conditions s'est fait l'enregistrement et l'écriture? J'ai cru comprendre qu'il y avait eu quelques petits problèmes en studio?
Au total, l'écriture et la pré-production de l'album auront durées près d'une année entière. Pour certains morceaux, comme Tragedia Dekadencia ou The Red Archromance, nous avons enregistré des dizaines de versions démo différentes, alors que d'autres comme The Drudenhaus Anthem ont été finalisées assez rapidement, d'une manière très spontanée… Ensuite, nous sommes resté environ trois mois en studio pour l'enregistrement à proprement parler. C'était très éprouvant, car nous avons fait le choix de produire l'album nous-mêmes de A à Z. Il fallait donc assurer à la fois les rôles de musicien, technicien, producteur, etc. Nous ne voulions rien déléguer à personne, pour être sûrs du résultat final. Nous avons donc vécus quasiment cloîtrés de novembre 99 à février 2000, dans notre studio, près de Nantes. Les petits problèmes auxquels tu fais allusion ont été dus à la tempête de cet hiver, mais heureusement, rien de grave, nous avons juste dû interrompre les sessions pendant une semaine…

3. Je trouve aussi que l'album a un côté très littéraire et décadent. Qu'en penses tu?
Je suis tout à fait d'accord. La littérature demeure une intarissable source d'inspiration pour nous. Nous sommes très influencés par toute la vague du Romantisme Noir du XIXème, avec des auteurs comme Musset, Barbey d'Aurevilly, Nerval, Lautréamont, Chateaubriand, ou encore des gens comme Bloy, Artaud… Cela peut sembler désuet, voire déplacé au vu et su du climat ambiant très matérialiste et " terre à terre " de notre société soi-disant " moderne ", mais c'est justement ce paradoxe qui nous intéresse. Nous nous voyons comme des dandys modernes, trop avant-gardistes pour s'insérer dans ce monde fait de médiocrité. La grandeur d'âme exilée dans la décadence… Cette décadence est pour nous une arme que notre société malade a elle-même mise entre nos mains. Elle est l'apanage des grands esprits, qui ne peuvent que désirer la destruction de ce monde crâne, futile et prétentieusement scientiste… Seuls les médiocres peuvent se satisfaire de ce que l'on nomme " vivre " aujourd'hui… Comme disait Oscar Wilde " vivre est une chose très rare de nos jours, la plupart des gens existent, c'est tout ".

4. Et pourquoi cette utilisation de 4 langues différentes? Ca t'intéresserait d'utiliser du Russe ou une langue Nordique par la suite?
Lorsque j'écris des textes, cela vient naturellement. Certains sentiments sont plus faciles à exprimer que d'autres dans une langue donnée… La musique joue aussi un rôle : certains passages se prêtent particulièrement bien à un chant en Allemand, par exemple, comme sur Enter the Church of Fornication… Le choix de la langue est instinctif. Et puis, cela apporte une certaine richesse au chant, qui s'accorde bien avec la musique… Mais je ne pense pas que nous utiliserons d'autres langues par la suite. Parce que le choix de l'Anglais, du Français, du Latin et de l'Allemand n'est pas innocent : ce sont des langages intimement liés, des langues qui reflètent une certaine culture à laquelle nous sommes très attachés. Pour nous, l'utilisation de ces différentes langues coulait de source… Je ne pourrais pas chanter en norvégien par exemple, car cela ne signifierait rien pour moi, si ce n'est une culture, une mentalité qui n'est pas la mienne.

5. Alex d'Agressor apparaît aussi sur l'album, ça s'est fait comment?
Alex est un ami, il a joué avec nous sur la tournée avec Immortal, et comme nous sommes tous des fans d'Agressor de la première heure, nous lui avons naturellement demandé s'il désirait apparaître en guest sur l'album… Il a accepté volontiers, et nous a gratifié d'un superbe solo ainsi que de quelques backing vocals… Je suis très fier qu'il apparaisse sur Drudenhaus, car c'est quelqu'un que j'admire énormément, autant pour ses qualités de musicien que pour ce qu'il représente pour la scène française.

6. Par rapport au mini, pourquoi Divine Light Of A Cuming Decadence réapparaît dans une nouvelle version sur Drudenhaus?
Au début, Sodomizing n'était pas censé sortir, c'était une démo qui nous a servi à démarcher les labels… Et nous l'avions conçu comme une démo de l'album Drudenhaus, qui était déjà en préparation à l'époque. Ce qui veut dire qu'à l'origine, tous les titres présents sur Sodomizing devaient figurer sur Drudenhaus… Puis nous avons signé avec Osmose, et Hervé nous a soumis l'idée de sortir Sodomizing sous la forme d'un mini-CD. Nous avons accepté, car cela permettait au public de se " familiariser " avec la nouvelle orientation du groupe avant la sortie de l'album. Bien sûr, cela impliquait de ne pas réutiliser les morceaux du mini-CD sur l'album. De toute manière, entre temps, nous avions composé de nouveaux titres bien plus aboutis et plus puissants que les anciens, donc la question ne se posait même pas. Mais nous tenions tout de même à faire figurer Divine White Light sur l'album, pour faire le lien avec le mini-CD, montrer que ces deux enregistrements résultent du même processus créatif, que pour nous, l'un ne va pas sans l'autre, même si Drudenhaus est beaucoup plus mature que son prédécesseur. Qui plus est, ce morceau s'insérait parfaitement dans la continuité de l'album…

7. Et ce sample sur Excreted Communion Under Khaos Zero, c'est qui? On dirait l'abbé Pierre en version moins gâteuse!
Ah Ah Ah, non ce n'est pas l'abbé Pierre, ni le Pape, comme je l'ai souvent entendu dire… Il s'agit de Eugène Ionesco, écrivain et metteur en scène de théâtre.

8. Quant à l'artwork général, il semble important pour vous. Qui s'en est occupé? Sur des idées de qui?
C'est Vant, notre batteur qui s'est occupé de tout le design de l'album, assisté par Kaiser Novalecht, génie psychotique de Master Lab Systems, pour ceux qui connaissent… Comme je te le disais, nous aimons contrôler tout ce qui touche de près ou de loin à la réalisation de nos disques, Vant est graphiste de formation, c'est donc tout naturellement qu'il s'est attelé à la conception de la pochette et du livret de l'album, comme il en avait été pour le mini-CD. Par ailleurs, c'est vrai que nous accordons énormément d'importance à tout ce qui est visuel, design, etc, car je pense qu'un groupe de Metal se doit d'avoir une image forte.

9. Et puis ça vous change de la magnifique pochette faite par SOM:))
Ah Ah Ah, oui, certes… Voilà peut-être aussi pourquoi nous préférons tout superviser à présent… Pour être sûr de ne plus avoir ce genre de surprises… Mais bon, je ne vais pas épiloguer sur ce sujet, cela appartient au passé maintenant, et heureusement.

10. D'ailleurs, comment s'avère au final le changement de label pour vous? Osmose c'est très différent de SOM?
Oui, rien à voir. Osmose est un vrai label. Honnête et sérieux. Tout le contraire de Season of Mist, en somme… Ils assurent une promo fantastique, nous bénéficions enfin d'une distribution digne de ce nom, nous touchons nos royalties, et nous avons la possibilité de tourner avec de grands groupes. Que demander de plus ? Je suis plus que satisfait du travail d'Osmose, et puis, ce n'est pas un label assoiffé de fric comme Nuclear Blast. Hervé signe avant tout les groupes au feeling, parce qu'il apprécie leur musique, qu'il croit en eux… Ca paraît logique, mais c'est pourtant de plus en plus rare.

11. Vous avez aussi carrément changé de style à ce moment là. C'est dû à quoi?
Stefan expliquerait cela sans doute mieux que moi, vu qu'il est l'unique compositeur du groupe… La transition ne s'est pas fait de manière abrupte, c'est venu progressivement. L'album Exile était un genre de parenthèse dans la carrière d'Anorexia Nervosa, il formait un tout, se suffisait à lui-même, et n'était pas conçu pour avoir une suite. C'était une exploration de la folie, une introspection totale… Après cet album, le groupe ne pouvait que splitter ou prendre un nouveau départ, tant l'implication de tous les membres dans le concept d'Exile était profonde, et tant le concept lui-même était autodestructeur. Finalement, le chanteur et le second guitariste ont quitté le groupe, et Stefan a décidé de revenir à un style plus direct, plus Metal, une sorte de retour aux sources, puisque l'ancêtre d'Anorexia Nervosa, Necromencia, évoluait déjà en 1992 dans un style Death/Black très extrême… Puis, Xort et moi avons intégré le groupe, et apporté notre vision des choses, nos influences. Et tout cela a donné Sodomizing the Archedangel…

12. Je trouve personnellement que vous avez un certain nombre de points communs avec Cradle, mais vous ne semblez pas apprécier trop cette comparaison... Qu'est ce qui vous gêne?
Les gens aiment faire des rapprochements, et c'est dur pour un jeune groupe de passer au travers… Je comprends ces comparaisons, du moins en ce qui concerne Sodomizing, parce que pour l'album, j'avoue que je ne vois pas... Certains passages du mini-CD peuvent effectivement faire penser à Cradle of Filth, mais notre but n'a jamais été de copier tel ou tel groupe. Nous n'avons jamais été des suiveurs et ne le serons jamais. Nous composons avec nos tripes, point barre. Qui plus est, je trouve ces comparaisons assez…mmmm…superficielles. Notre musique est rapide, avec des claviers, et quelquefois des voix haut-perchées, mais cela suffit-il pour pouvoir affirmer que nous sommes des clones de COF ? Je ne pense pas. Notre démarche n'a rien à voir avec la leur, nous sommes beaucoup plus extrêmes, nous mettons clairement en avant notre identité française, notre rattachement à une culture française, nous utilisons les claviers d'une manière radicalement différente, plus proche de la musique classique, et les structures de nos morceaux sont diamétralement opposées aux leurs… Nous avons notre style, ils ont le leur. Ceci étant dit, je ne veux pas non plus céder au gimmick qui fait actuellement fureur chez les true-Black-Metal-underground-fashion-victims et qui consiste à vomir toute sa petite bile juvénile sur COF, histoire de se donner une once de crédibilité… J'appréciais énormément ce groupe jusqu'à l'album Dusk and her embrace, mais à présent, je trouve qu'ils tombent un peu trop dans l'auto parodie et le grand guignol.

13. Et au niveau des tournées, quoi de neuf et de prévu?
Pour le moment, nous allons donner pas mal de concerts en tête d'affiche à la rentrée, en France, en Belgique et en Hollande, autrement dit, dans les pays ou l'album marche le mieux. Ensuite, je pense que nous partirons en tournée européenne courant novembre, mais je ne sais pas encore précisément avec qui…

14. Vous auriez dû être avec Impaled Nazarene, mais ça ne s'est pas fait, et on n'a jamais pu savoir la raison officielle. Tu peux nous donner des explications ?
Bien sûr hé hé hé… En fait, nous nous sommes fait baiser, pour parler crûment, par un tourneur, Christophe Vadurel pour ne pas le nommer. C'est une longue histoire, et je ne préfère pas trop entrer dans les détails, mais en gros, il ne voulait pas nous payer, ne nous fournissait ni tour-bus ni matériel, il voulait aussi nous prélever 10% sur notre merchandising vendu (notre seule source de revenus, vu que nous n'étions pas censé être payés), etc etc… La liste est longue, et j'en oublie. Nous n'avons réussi à le joindre au téléphone qu'une semaine avant le début de la tournée, rien n'était réglé, le bordel le plus total… Finalement, il a fini par nous faire comprendre clairement par diverses petites menaces que nous avions tout intérêt à ne pas jouer sur cette tournée, et nous avons donc préféré annuler, d'un commun accord avec Osmose… Dans ces conditions, il était impossible de donner des shows convenables…

15. Par contre, avec Immortal, ça s'était bien passé, non? Qu'as tu retiré de cette tournée?
Oui, plutôt bien passé, dans l'ensemble, même si c'était organisé par le même tourneur, et que nous avions déjà eu de " petits différents " avec lui tout au long de cette tournée… Mais dans l'ensemble, ce fut très positif pour nous. D'abord, jouer avec Immortal était fantastique, car c'est un groupe que nous admirons et respectons beaucoup. Je pense que nous avons énormément appris d'eux tout au long de cette tournée… Et puis, le contact a été très bon, le courant est vite passé entre nous. Ensuite, pour nous, c'était une sorte de challenge de jouer devant le public d'Immortal, et d'autant plus que notre mini-CD était à l'époque à peine sorti… Il a fallu s'imposer, mais je crois que finalement, nous nous en sommes très bien sortis. C'était notre première " vraie " tournée, et pour un début, je suis très satisfait. C'était en quelque sorte un test pour le nouveau line-up du groupe, et l'épreuve de la scène pour les nouveaux morceaux. Nous en avons retiré énormément de choses, et vu ce que donnent les dernières répétitions, les prochains shows risquent fort d'être monstrueux…

16. Pour conclure, que penses tu de la scène Française en général? Et en particulier de groupes comme Seth et The Bleeding Light?
Je trouve la scène française très intéressante, même si trop de groupes français manquent cruellement de professionnalisme et de personnalité. Il n'y a pas d'unité au sein de la scène française, pas de spécificité, comme cela peut être le cas dans des pays comme la Norvège, la Suède, la Grèce, etc. C'est dommage. Néanmoins, j'apprécie les rares groupes français qui savent s'élever au-dessus de la masse populaire anti-artistique qui n'aspire qu'à plagier laborieusement ses idoles, des groupes comme Antaeus, Forbidden Site, Gorgon, Agressor, Himinbjorg, Rosa Crux, mais j'en oublie certainement quelques uns… Quant à The Bleeding Light, je ne connais que de nom, donc difficile de te répondre. Et Seth, je n'accroche pas trop à leur style, mais j'attends tout de même le prochain album, qui a l'air prometteur.

17. Un dernier mot?
Merci Thomas pour cette interview. Bonne chance pour la suite… Nous serons de retour sur scène à la rentrée, nous sommes plus que jamais prêts à partir en campagne à travers les terres de France, j'espère que les troupes seront au rendez-vous Ah Ah Ah !!! Cum to me Children of Hate & Frustration ! Worship the ANNO!!!

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