Interview de Mr Hreidmarr par Laurent Michelland pour THRASHING RAGE Magazine 15/07/2000
1. Comment vois-tu l'évolution du groupe depuis Sodomizing
the Archedangel jusqu'à Drudenhaus?
Hreidmarr: Je pense que notre musique a énormément gagnée en maturité
et en efficacité depuis Sodomizing the Archedangel, qui peut et doit être perçu
comme une amorce de Drudenhaus, puisque je le rappelle, à l'origine, il s'agissait
juste d'une démo que nous avions enregistrée pour démarcher les labels, après
notre départ de Season of Mist. Les arrangements sont donc beaucoup plus élaborés
sur l'album, notamment au niveau des claviers, les morceaux sont plus structurés,
plus directs, la production est également bien meilleure, et dans l'ensemble,
je dirais que notre musique s'est durcie. Le mini-CD avait un feeling beaucoup
plus gothique que Drudenhaus. Toutefois, pour nous, ces deux enregistrements
forment un tout, ils correspondent à un même processus créatif, et sont de ce
fait intimement liés…
2. A ton avis, qu'est-ce qui fait que votre musique
soit aussi personnelle?
Notre musique est personnelle parce qu'elle constitue le strict reflet de ce
que nous sommes. Nous composons avec nos tripes sans essayer de s'inscrire dans
tel ou tel courant, et nous ne recherchons pas l'originalité à tout prix. Notre
but premier est l'efficacité. Si nous nous détachons de la masse, ce n'est pas
parce que nous sommes meilleurs ou je ne sais quoi… C'est juste parce que nous
essayons de faire de la musique avec sincérité et professionnalisme, et que
les autres groupes ne sont pour la plupart que des ratés sans talent, qui tentent
tant bien que mal de se plagier les uns les autres.
3. Votre musique est un mélange d'influences Black-Metal
et de beaucoup d'autres influences, avec énormément de d'arrangements et de
changements de mélodies. Cela engendre une certaine richesse musicale que j'aimerais
que tu décrives…
Well, nous essayons de mixer au mieux nos différentes influences, principalement
le Black-Metal, le Death, le Gothique, le Heavy/Glam des années 80 et le classique…
Mais là ou certains groupes se satisferaient d'une sorte de patchwork bancal
et maladroit, nous recherchons par dessus tout la cohérence.
Nous sommes avant tout un groupe de Metal, un groupe de Hard moderne, violent
et décadent. Nous ne nous réclamons d'aucun style en particulier, si ce n'est
du Hard-Rock - j'aime beaucoup ce terme désuet… Nos diverses influences ont
donc depuis longtemps été " digérées " et assimilées, elles ne sont là que pour
nous permettre de repousser les limites du Metal, de le rendre plus grandiose,
mystique et sacré. Notre but est de créer le Metal le plus puissant, le plus
monumental ayant jamais existé…
Notre côté Black, par exemple, se retrouve dans la violence, l'extrême rapidité
de nos morceaux, dans l'agressivité du chant ainsi que dans certaines atmosphères…
Nos bases gothiques nous permettent de tempérer, voire même de maîtriser ce
déchaînement de haine, en l'agrémentant de mélodies plus sensuelles et profondes,
ou encore de passages plus doux, plus introspectifs.
L'apport de la musique classique est également très important, nous utilisons
des samples de véritables instruments, essentiellement des cordes, mais aussi
des cuivres et des percussions. Nous essayons de concevoir de véritables parties
orchestrales, avec la plupart du temps, l'équivalent d'une vingtaine de musiciens
classiques jouant tous des parties différentes. Contrairement à la plupart des
groupes de Metal extrême utilisant des claviers, cela n'adoucit pas notre musique,
bien au contraire, cela lui confère un aspect encore plus violent et hystérique,
tout en la projetant dans une autre dimension, plus grandiose, plus puissante,
plus divine. Nous recherchons le frisson Wagnérien…
Enfin, pour contrebalancer ce côté complexe et très " chargé ", nous nous efforçons
de composer des morceaux aux structures simples et directes, tout droit héritées
du Heavy des années 80, avec des couplets très entraînants, et des refrains
accrocheurs qui restent bien en tête…
4. Est-ce que la musique classique a été une grande
influence pour composer Drudenhaus ? Quels compositeurs admirez-vous le plus,
et pourquoi?
Oui, comme je te le disais toute à l'heure, toutes nos parties orchestrales
sont inspirées consciemment ou non d'auteurs classiques qui nous ont marqués,
notamment au niveau de la construction de certaines harmonies qui reviennent
fréquemment dans nos morceaux…
Les premiers noms qui me viennent à l'esprit sont Orff et Wagner, bien sûr,
pour leur puissance colossale, presque irréelle, mais aussi Mussörgski, Beethoven,
Haendel, Berlioz, Rachmaninov, et plus contemporain, Liguetti, pour son terrifiant
Requiem.
5. Est-ce que la conception de cet album vous a demandé
des efforts particuliers, et quelles ont été les difficultés que vous avez rencontrées
pour la composition et l'interprétation des morceaux?
Non, nous n'avons pas rencontré de difficulté particulière pour l'écriture de
l'album, car nous commençons à être habitués à travailler sur des morceaux de
ce style, et notre méthode de composition est à présent bien " rôdée "…
Bien entendu, cela a tout de même été un travail de longue haleine, qui nous
a occupé pendant quasiment une année entière, entre l'écriture à proprement
parler, la pré-production et finalement, l'enregistrement. Je dirais que la
principale difficulté que nous ayons rencontrée fut le mixage de l'album : nous
devions gérer plus de 48 pistes, sans compter les claviers. Ce fut vraiment
très difficile de trouver un bon équilibre, tout en sachant conserver un son
personnel, un son qui ne fasse pas neutre, plat, sans âme…
Pour ce qui est de la reproduction des morceaux en live, cela ne nous pose pas
de problème non plus, car nous répétons beaucoup. Par ailleurs nous n'utilisons
aucune bande, aucune séquence en concert, tout est joué live à 100%.
6. Quel est le concept de Drudenhaus ? Quels sont
les thèmes qui vous tiennent à cœur et pourquoi?
En fait, Drudenhaus n'est pas vraiment ce que l'on pourrait nommer un "concept-album
", dans le sens ou nous ne racontons pas une histoire. Je le décrirais plutôt
comme un journal, relatant l'état d'esprit de personnages traversant plusieurs
époques, leur vision détachée du monde, leurs espoirs toujours déçus, la Haine
qui les maintient en vie… Ces personnages nous ressemblent, et il y a beaucoup
de choses très autobiographiques sur Drudenhaus. Chaque morceau se passe dans
un lieu précis, le plus souvent un lieu qui nous est - ou nous était - familier,
et à une époque bien déterminée. Même si certains titres comme Divine White
Light of a cumming decadence couvrent plusieurs périodes de l'histoire, puisque
y sont évoqués les souvenirs d'un des protagonistes. Mais tout cela n'est pas
ordonné, il n'y a pas de progression chronologique ou narrative, nous voulions
que cela reste chaotique, désarticulé… Cette trame de fond nous sert de base
pour développer les thèmes qui nous tiennent à cœur : la grandeur d'âme exilée
dans la Décadence, la passion, au sens noble et dévastateur du terme, le Nihilisme,
encore et toujours, le Mysticisme et le Sacré, au sens large.
Drudenhaus, c'est ce que nous sommes et avons été, ce que l'on ressent au plus
profond, c'est l'ineffable…
7. Est-ce que la littérature a été une source importante
d'inspiration pour les textes? Quels auteurs admires-tu particulièrement?
Bien sûr. La plupart de mes textes s'inscrivent dans la continuité des vagues
Romantiques française et allemande du XIXème siècle… J'admire tout particulièrement
des auteurs comme Musset, Barbey d'Aurévilly, Nerval, Chateaubriand ou Gautier,
parce que leur vision de l'ordre des choses, si elle peut paraître désuète aux
yeux de notre petit monde soi-disant moderne et prétentieusement scientiste,
n'est finalement pas très éloigné de la mienne. Je me retrouve dans leurs oeuvres,
je les comprends comme si je les avais moi-mêmes écrites, il n'y a rien d'autre
à ajouter… J'apprécie aussi des gens tels que Poe, Artaud, Bloy, ou encore,
plus proche de nous, le génial et enragé Marc-Edouard Nabe, même si ses écrits
s'éloignent quelque peu de la littérature à proprement parler.
8. Est-ce que tu conçois tes paroles comme des poèmes?
Qu'est-ce qui te plait dans l'art de la poésie?
Difficile à dire… Il faudrait déjà que je sache ce qu'est la poésie. Je
n'écris pas selon une quelconque méthode, je suis mon instinct. D'une manière
générale, j'essaie juste de faire en sorte que mes phrases soient simples et
harmonieuses… Mais l'écriture n'est pas pour moi un processus qui coule de source
: chaque texte est un accouchement dans la douleur, une torture de l'esprit.
Les premiers jets viennent en général assez facilement, toujours lorsque je
m'y attends le moins, souvent lorsque je me trouve dans des états seconds. Mais
après, cela se complique, je me retrouve face à des ébauches de phrases, face
à des mots que j'ai peur d'affronter. Parfois je préfère ne pas vraiment connaître
la signification profonde de ce que j'ai écrit…
Et pourtant, je ne peux m'empêcher de tourner et retourner ces phrases dans
tous les sens, en essayant d'en extraire la quintessence, ce qui à chaque fois
me détruit un peu plus. Et puis, les mots sont tellement réducteurs…
9. Pourquoi utilises-tu plusieurs langues différentes
dans tes textes ? Quelles émotions cherches-tu à faire passer à travers ces
différents langages?
Lorsque j'écris, cela vient naturellement, Le choix de la langue est, une fois
de plus, instinctif. Certaines phrases sonnent mieux dans une langue que dans
une autre, et il en va de même pour certains sentiments qui sont pour moi plus
faciles à retranscrire dans un langage donné… Quelquefois, il arrive que ce
soit la musique qui influence ce choix, lorsque certaines ambiances se prêtent
plus à une langue qu'à une autre, comme pour le passage en Allemand sur Enter
the Church of Fornication…
Cela apporte une grande richesse au chant, et met à ma disposition un panel
d'émotions beaucoup plus vaste que si je chantais dans une seule langue. D'autre
part, le choix de l'Anglais, du Français, du Latin et de l'Allemand n'est pas
innocent : ce sont des langages intimement liés, des langues qui reflètent une
certaine culture à laquelle nous sommes très attachés. Pour nous, l'utilisation
de ces différentes langues coulait de source…
10. Comment vois-tu ta progression en tant que chanteur
depuis Sodomizing The Archedangel ? Travailler ton chant et expérimenter est
quelque chose d'important pour toi?
Oui, je pense que j'ai énormément progressé depuis Sodomizing the Archedangel,
sur lequel ma voix n'était pas encore très affirmée, un peu hésitante… Pour
Drudenhaus, mon approche a été radicalement différente : je n'ai pas essayé
de la faire sonner d'une manière particulière, je n'ai pas cherché à obtenir
des intonations bien précises, comme je pouvais le faire auparavant, j'ai juste
chanté le plus naturellement possible.
Qui plus est, les morceaux de l'album étaient si complexes que je ne pouvais
me concentrer sur autre chose que sur le placement de ma voix, il m'était impossible
de penser à comment cela allait rendre au final. Et je suis très satisfait du
résultat, ma voix sur Drudenhaus est beaucoup plus personnelle, car derrière
les hurlements, on entend clairement mon timbre naturel. Elle reste très agressive
tout en s'éloignant d'une voix Black classique. Personnellement, je la trouve
même beaucoup plus violente qu'une voix Black traditionnelle.
Ma manière de placer ma voix sur la musique a également évoluée depuis le mini-CD.
Sur Drudenhaus, le chant est plus homogène, j'ai beaucoup travaillé dans ce
sens là. C'est un peu facile de balancer quatre phrases plus ou moins calées,
de laisser passer un ou deux riffs, puis de rebalancer quatre phrases, etc.
Sur l'album, je voulais qu'il y ait de véritables lignes de chant, avec de vrais
couplets, de vrais refrains, et une certaine cohésion au sein de chaque morceau.
J'aime expérimenter des choses nouvelles, notamment pour ce qui est des voix
claires, et je travaille sans cesse mon chant pour y parvenir, et progresser.
11. Musicalement parlant, comment chacun de vous apporte
sa touche aux morceaux?
Stefan compose absolument tout, des riffs aux lignes de claviers, en passant
par les parties de batterie… Toutefois, Xort retravaille toujours les orchestrations
par la suite, il y ajoute sa touche personnelle, leur donne plus d'ampleur.
Pour mes lignes de chant, j'ai une totale liberté, mais comme pour la musique,
l'avis et les idées de chaque membre du groupe est pris en compte. Cela fonctionne
très bien ainsi, et il n'arrive que très rarement que nous ne soyons pas d'accord
sur quelque chose. Nous sommes complètement en phase musicalement, ce qui facilite
les choses.
12. Votre musique est en rapport direct avec le monde
de la noblesse, du romantisme et de l'élégance. Quelle est ta définition de
ces trois mots?
La Noblesse doit d'abord être une Noblesse d'âme, une Noblesse de cœur qui différencie
l'homme du singe… L'élégance en découle naturellement. Le Romantisme est le
mode de vie le plus extrême qui ait jamais existé.
13. Le philosophe français Cioran a écrit "Ce que
nous appelons pessimisme n'est rien d'autre que l'art de vivre, l'art de goûter
la saveur amère de tout ce que nous entoure". Es-tu d'accord?
Pas vraiment, disons que j'appellerais cela " réalisme ", plutôt que " pessimisme
" (rires). Mais de toute manière, je ne suis pas pessimiste du tout, bien au
contraire… Je suis très optimiste sur ma destinée et celle de l'humanité : le
pire est à venir, et cela me remplit de joie.
.